Sandrine

Jean-Guy Marceau
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Jean-Guy Marceau

Il fait sombre dans le condo. Un soleil timide joue à cache-cache avec de vilains nuages touffus. Septembre ouvre sa porte, il enveloppe la ville d'un filtre grisâtre et donne à celle-ci un air de fumeuse enragée.

C'est l'odeur des rôties qui réveille Sandrine. 6h45, premier jour d'école. Sandrine entre en cinquième année un peu de reculons. Nouvelle école, avec quelques-unes de ses copines. L'été a révélé en elle la femme en devenir. Dix ans, presque onze, et pas une minute à perdre. Selon sa mère, elle a changé, mais pas nécessairement pour le mieux.

Les cheveux en broussaille, Sandrine apparaît dans le cadre de porte. Un petit épouvantail, haut comme trois pommes et un brin rebelle. Déjà vêtue comme une mini rock star, les cuisses à l'air et le nombril en évidence, elle lance à sa mère.

-C'est quoi les quétaineries qui sont sur ma chaise d'ordinateur?

-Bonjour mon ange! Ce sont tes vêtements pour l'école ma princesse!

La bouche pleine de pain et de Nutella, on croit entendre:

-Quoi! Pas d'ac, c'est pas cool, c'est quoi ces affaires-là? C'est dégueulasse!

-D'abord ma chouette, t'as pas bien regardé lui murmure sa mère. Le bleu te va si bien... ce sont les vêtements que tu vas porter aujourd'hui et durant toute l'année. Regarde ma biche, c'est un genre d'uniforme que l'école nous propose. On en a déjà parlé vendredi.

-Yeurkk! Y a rien de noir, juste les souliers de bonnes soeurs, j'hais le carreauté, une jupe à plis, c'est quoi l'idée? J'vais avoir l'air d'une Écossaise obèse! J'porte pas ça, j'vais pas à l'école, y sont cons!

Dix ans, Sandrine est rouge comme une McIntosh, debout près du lave-vaisselle en onyx . Les nerfs du cou sortis. En furie, elle termine son verre de lait et une jolie moustache lui apparaît sur la lèvre supérieure.

-Ton père et moi, on est d'accord avec l'école, ma Sandrinette. On trouve ça correct ce règlement. Tu ne seras pas la seule, tout le monde va être habillé pareil.

-On va tous avoir l'air débile. Je te l'ai dit la semaine passée de ne pas acheter ça! La mère de Jasmine va même peut-être lui signer un billet pour l'exclure de ce règlement stupide.

Elle joue toutes ses cartes.

-On va contester sur Facebook... Juliette a parti une pétition, on est déjà 18. Mom, y faut pas que ça arrive. C'est catastrophique, ça pas d'allure, faut garder nos personnalités! Ils l'ont dit à Music Plus l'autre jour. Moi j'suis gothique, tu le sais que je ne peux pas porter ça... De quoi j'vais avoir l'air?

Le calme apparent de la mère énerve la petite (Aurore) qui sort de plus en plus de ses gonds. Elle en aura pour vingt minutes en monologues de toutes sortes, hystériques, enfantins et décousus, comme le bord de son chandail-bedaine noir.

-Il te reste trente minutes pour te changer Sandrine. L'autobus ne t'attendra pas. Mets tes vêtements, après, je vais te faire une belle tresse gothique ma puce!

-D'abord, j'suis pas ta puce. J'suis plus une enfant, personne ne me comprends dans cette maison-là, chu pas une vieille de trente-six ans, j'veux m’habiller comme une fille de mon âge, pas en cornemuse!

-Trente minutes, allez lui lance sa mère, saute dans ton nouveau linge!

La petite furie traverse le couloir comme une traînée de perséides au mois d'août. Dix minutes plus tard, elle en ressort portant ses nouveaux habits, les yeux rougis, une brosse à la main. Elle tend l'outil à sa mère.

-S'cuse Mom! J'sais pas ce que j'ai, trouves-tu que je saute ma coche des fois? Je le sais pourtant que j'ai pas le choix... Et puis, j'ai assez hâte de voir Arianne et Clara habillées comme ça, on va niaiser, ça va être cool. Peux-tu mettre mon bandeau en velours noir au bout de ma tresse?

-Certain ma belle Sandrine, tu vas être la plus belle petite Écossaise de l'école!

Les deux complices se mettent à rire et à danser au milieu du salon comme si rien n'avait eu lieu. Un ouragan dans un verre d'eau quoi!

Organisations: Arianne

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